Assurance construction

Responsabilité et assurance obligatoire

La responsabilité, un principe séculaire

Les constructeurs ont toujours été considérés comme responsables de leurs ouvrages. Le premier texte à en faire état est le Code d’Hammourabi, dès 2100 avant Jésus-Christ : il prévoyait la mort de l’architecte en cas d’effondrement. Plus clément, le droit romain inaugura l’idée d’une obligation à réparation. Le principe d’une responsabilité décennale fut ensuite l’objet des deux courts articles 1792 et 2270 du Code Napoléon. Le XX siècle inventa les premières assurances de la construction : en 1922, c’est la Société mutuelle d’assurance des chambres syndicales du bâtiment et des travaux publics, ancêtre de SMABTP, qui lança la première police d’assurance décennale dévolue aux entrepreneurs. Après la guerre, l’assurance construction se développa et plusieurs nouveaux contrats firent leur apparition, issus d’un seul pool d’assureurs. Les problèmes demeuraient nombreux : trop de constructeurs étaient dépourvus d’assurance, les expertises étaient trop longues, la sinistralité trop importante et trop coûteuse, la prévention insuffisante…

L’obligation d’assurance, un principe assez récent

La loi N° 78-12 du 4 janvier 1978, dite « loi Spinetta », avait pour ambition de mieux protéger les usagers. Elle instaura notamment le principe de l’obligation d’assurance décennale, et d’étendre la liste des intervenants assujettis à cette obligation. Le moment clé de la livraison des travaux (la réception), fut redéfini pour servir de point de départ de certaines garanties. En outre, un système d’assurance de préfinancement au bénéfice du Maitre de l’Ouvrage fut inventé, appelé dommages-ouvrage, privilégiant la réparation des désordres à la recherche de responsabilités. Bien que la loi Spinetta soit toujours appliquée à l’heure actuelle, elle a subi de nombreuses transformations au fil du temps.

La destination de l’assurance décennale

Les principes de la responsabilité

La présomption et l’exonération

La loi Spinetta institue la présomption de responsabilité des constructeurs. La simple constatation d’un dommage relevant de la garantie décennale suffit à déclencher la garantie. Le maître d’ouvrage n’a pas besoin de prouver qu’une faute a été commise par le constructeur. Ce dernier ne peut s’exonérer qu’exceptionnellement de sa responsabilité : il doit alors prouver qu’il y a eu cause étrangère, force majeure, fait d’un tiers ou faute du maître de l’ouvrage.

Les dommages déclencheurs

La responsabilité décennale est engagée dans deux cas : d’une part, en cas de dommages compromettant la solidité de l’ouvrage et affectant l’un des éléments constitutifs de la construction (viabilité, fondations, ossature, clos, couvert…), ou compromettant la solidité d’un équipement indissociable du bâtiment ; d’autre part, en cas d’impropriété à destination (cette notion est l’objet d’une jurisprudence abondante ; elle est invoquée quel que soit l’élément impliqué. : par exemple, en cas d’atteinte à la sécurité des personnes).

Le législateur a prévu qui et quoi, dans l’acte de construire, se trouvait ou non impliqué par la responsabilité et l’obligation d’assurance.

Pour qui ?

Parmi les bénéficiaires des garanties créées par la loi Spinetta, figurent le maître d’ouvrage et les propriétaires successifs de l’ouvrage, et ce, pendant dix ans après la réception des travaux.

Parmi les intervenants assujettis à la responsabilité décennale, figurent tous les constructeurs  contractuellement liés au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, et que l’on appelle constructeurs réalisateurs, mais aussi certains professionnels de la construction que l’on appelle constructeurs non réalisateurs (notamment les lotisseurs aménageurs, les vendeurs après achèvement, les promoteurs). Ce sont aussi les contrôleurs techniques et certains fournisseurs d’éléments de construction qualifiés d’Epers (éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire : charpentes industrialisées, fenêtres sur-mesure…). La majorité des fournisseurs de matériaux, tels que les fabricants et les négociants, ainsi que les constructeurs intervenant en tant que sous-traitant, ne sont pas assujettis à l’obligation.

Le sous-traitant n’est pas considéré par la loi comme un constructeur ; il demeure pourtant responsable vis-à-vis de l’entrepreneur principal, son donneur d’ordre. La jurisprudence assimile cette obligation de résultat à une présomption de responsabilité : il est donc préférable pour lui de se garantir.

Pour quoi ?

Tous les ouvrages sont soumis à l’obligation d’assurance décennale, à l’exception de ceux listés dans l’ordonnance du 8 juin 2005. Il arrive que certains ouvrages de cette liste soient tout de même assujettis à l’assurance parce qu’ils sont accessoires à un ouvrage soumis à l’obligation (par exemple, s’ils en assurent la desserte privative). Une distinction est faite entre les parties du bâti qui ont une fonction de « construction » (infrastructure, structure, clos, couvert) et celles qui peuvent être considérés comme des « biens d’équipements »  (aménagements intérieurs de l’espace délimité par le clos et le couvert, répondant aux contraintes d’exploitation, d’usage, conformément aux besoins quotidiens de l’homme). Ils ne bénéficient pas des mêmes garanties d’assurance. Enfin, si les existants sont totalement incorporés dans l’ouvrage neuf et en deviennent techniquement indivisibles, ils se trouvent eux aussi assujettis à l’assurance obligatoire.

Le déroulement de la période décennale

Point de départ des garanties

Le point de départ des garanties et des responsabilités est la réception des travaux, définie par l’article 1792-6 du Code civil. Ce document écrit est co-signé par l’entreprise de travaux et le maître d’ouvrage qui traduit ainsi son acceptation de l’ouvrage et mentionne explicitement ses éventuelles réserves : ne pourront être garantis que les vices cachés lors de la réception des travaux. Demeurent exclus du régime de la responsabilité décennale :

  • les désordres ayant fait l’objet de réserves lors de la réception,
  • les défauts de conformité aux stipulations contractuelles
  • les désordres affectant des travaux d’entretien, les petites réparations…

Garantie de Parfait Achevement ( GPA)

Pendant la première année suivant la réception, l’entrepreneur est tenu de réparer tous les désordres signalés par le maître d’ouvrage (soit dans les réserves listées dans le procès-verbal de la réception, soit dans des notifications écrites, si ces désordres se sont révélés après la réception). Il s’agit de la garantie de parfait achèvement.

Garantie de Bon Fonctionnement (GBF)

La garantie de bon fonctionnement est définie à l’article 1792.3 du Code civil. Elle entre en jeu dès qu’un élément d’équipement dissociable du bâtiment (radiateur, carrelage, moquette…) est affecté par un désordre (sans pour autant rendre l’ouvrage impropre à sa destination).

Cette garantie est de deux ans après la réception.

Les dix ans suivant la réception

La garantie décennale couvre toute cette période. La responsabilité décennale s’applique alors à la réparation de tous les désordres matériels à la construction.

Réparer des désordres peut consister, si c’est la seule solution palliative, à exécuter un ouvrage non prévu à l’origine, en vertu du principe de la réparation intégrale. Cette période est aussi celle pendant laquelle le maître d’ouvrage peut agir pour obtenir réparation du dommage : ensuite, il est trop tard. Dans certains cas, cependant, ce délai de dix ans peut être interrompu par une action en justice, car la prescription décennale a des limites. En outre, les dommages extérieurs à l’ouvrage relèvent d’une autre garantie : la responsabilité civile.

Le cas des chantiers exceptionnels

Pour les constructions n’ayant pas une destination d’habitation (exploitation agricole, industrielle…),  les garanties de l’assurance obligatoire de responsabilité décennale s’élèvent à concurrence du coût des réparations mais peuvent être limitées au coût total de construction de l’ouvrage (ou à 150 millions d’euros, si la valeur de l’ouvrage excède ce montant). Pour tous les ouvrages (habitation ou non), la garantie obligatoire peut être apportée par un ou par plusieurs contrats appelés à intervenir en complément les uns des autres. Le contrat collectif de responsabilité décennale, ou CCRD, est un contrat souscrit par le maître d’ouvrage et bénéficiant à l’ensemble des intervenants (y compris au contrôleur technique et même aux sous-traitants). Il intervient en seconde ligne et complète les montants des garanties individuelles des intervenants, lorsque ces montants sont épuisés.

Le cas de celui qui fait réaliser des travaux de bâtiment

Les catégories assujetties à l’obligation d’assurance

Ce sont : le propriétaire de l’ouvrage (particulier, personne morale, personne de droit public ou privé) ou son mandataire, le maître d’ouvrage délégué (celui qui est mandaté par le propriétaire et fait construire pour le compte de ce dernier), le maître d’ouvrage agissant en tant que vendeur (occasionnel ou professionnel), les promoteurs. Ils sont tous assujettis à l’obligation d’assurance dommages-ouvrage (voir l’article L.242-2 du Code des assurances).

Les catégories non assujetties à l’obligation d’assurance

Ce sont : l’Etat, lorsqu’il construit pour son propre compte (voir l’article L.243-1 du Code des assurances) ; certaines personnes morales de droit public ayant atteint une taille critique (effectif supérieur à 250 salariés, chiffre d’affaires de plus de 12,8 millions d’euros, total de bilan excédant 6,2 millions d’euros)… A noter : ils n’y sont pas assujettis mais peuvent y procéder à titre volontaire.

Le principe de l’assurance dommages-ouvrage

Cette assurance doit être souscrite par celui qui fait réaliser des travaux de bâtiment à la date d’ouverture du chantier. Elle garantit, sans recherche de responsabilité, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages matériels de nature décennale subis par l’ouvrage, y compris ceux provenant d’un vice du sol, et englobe les travaux de démolition, de déblaiement, de dépose ou de démontage éventuellement nécessaires à la réparation. Dans ce contrat, les exclusions sont strictement limitées à celles énumérées dans l’annexe II à l’article A.243-1 du Code des assurances.

La mise en œuvre

L’assurance dommages-ouvrage prend effet après la réception des travaux et s’applique après l’expiration de la garantie de parfait achèvement due par l’entrepreneur. Elle peut aussi intervenir plus tôt dans deux cas :

– avant la réception lorsque le contrat de louage d’ouvrage est résilié pour inexécution, malgré une mise en demeure restée infructueuse

– après la réception lorsque l’entrepreneur n’a pas respecté ses obligations, malgré une mise en demeure restée infructueuse.

Le fonctionnement

Le contrat dommages-ouvrage est régi par des clauses-type précises, notamment pour les délais d’instruction et de règlement des sinistres, objet d’une partie delà CRAC (Convention de règlement de l’assurance construction) sur laquelle les assureurs se sont engagés. Des délais sont imposés à l’assureur, sous peine de sanctions. Si la déclaration de sinistre est incomplète, l’assureur dispose de 10 jours pour le faire savoir et pour réclamer les éléments manquants. Dès lors que la déclaration est complète, l’assureur a 60 jours pour désigner un expert et notifier à l’assuré sa décision sur l’application des garanties. Certains cas dérogatoires sont prévus, notamment si le montant des désordres ne justifie pas de mettre en jeu les garanties, ou si la nature et l’importance du sinistre rendent nécessaire un délai supplémentaire.

Une spécificité française

L’assurance construction française est une spécificité nationale importante de notre paysage juridique. Les maîtres d’ouvrage apprécient la sécurité que leur procure l’assurance obligatoire. Pour les assureurs, elle suppose une maîtrise technique importante, notamment du fait de son fonctionnement en capitalisation, et la jurisprudence nombreuse suppose une adaptabilité rapide et continuelle. Elle reste pour l’heure une exclusivité française, même si elle a inspiré certaines réglementations nationales en Europe.